La nécessité du rêve dans la lutte……

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Article publié dans le journal Le Courrier le vendredi 15 Novembre 2013

Non il ne s’agit pas de l’approche de Noël qui m’a donné l’envie d’écrire sur le rêve, mais la volonté de rappeler que l’utopie et le rêve sont nécessaires à toute personne qui lutte pour un changement radical des sociétés vers davantage de démocratie, de justice sociale et de solidarité internationaliste. Vous me direz qu’il est dur aujourd’hui de rêver au changement radical, quel que soit le lieu l’on se trouve. A Genève, viennent d’être élus un parlement et un exécutif dominés par la droite dure et l’extrême droite. En France, le Parti «socialiste» poursuit, depuis l’élection de François Hollande à la présidence de la République, une politique néolibérale, antisociale, raciste et impérialiste en tout point égale à celle du précédent président Sarkozy.

La tendance des partis sociodémocrates européens à se comporter comme leurs homologues de droite n’est malheureusement pas nouvelle. En Europe, les crises sociales et économiques sont toujours plus aiguës, tandis que les classes dominantes continuent d’imposer leurs politiques néolibérales qui appauvrissent toujours davantage les classes populaires à coup de mesures antisociales, et portent atteinte aux droits démocratiques les plus élémentaires, notamment en recourant régulièrement à la répression. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, des processus révolutionnaires doivent faire face aux anciens régimes et aux islamistes, dans leur perspective de concrétisation de la démocratie et de la justice sociale. De nombreux autres exemples pourraient être trouvés et cités à travers le monde…

Malgré les difficultés, le ou la militant-e ne peut ni ne doit abandonner ses rêves de changement radical, sous peine d’abandonner la lutte, ou encore de la desservir en épousant un soi-disant réalisme le ou la portant à accepter des politiques néfastes, car contraires aux intérêts des classes populaires. Bien sûr, le rêve doit être connecté à la réalité matérielle de sa société et au combat quotidien pour le changement, car si cela n’est pas le cas, le rêve perd de son sens.

Le rêve est le début de toute action, le début de tout travail entrepris dans l’espoir de changer les choses. Le rêve permet aux militant-e-s d’imaginer et de se projeter dans une société autre que celle dans laquelle ils vivent, et qu’ils façonnent par leurs luttes. Le principe selon lequel «l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes» est et restera, il me semble toujours d’une actualité criante.

Il est en effet nécessaire de se remémorer que l’histoire n’est pas un destin déjà écrit ou scellé car, comme le rappelle la théorie marxiste qui rejette le fatalisme, même si les choix des humains sont prédéterminés par des contraintes, matérielles et sociales, auxquelles ils ne peuvent échapper, l’humanité peut façonner sa propre destinée dans le cadre de ces contraintes. Si ces dernières sont le produit de conditions matérielles déterminées, elles sont aussi le produit de pratiques sociales humaines. De même, il faut être conscient que des victoires ne signifient pas la fin de l’influence des idées et pensées contre-révolutionnaires des classes dominantes, elles demandent à être nourries par la permanence de la lutte et de la révolution sur la durée. Comme le disait Antonio Gramsci, les groupes subalternes sont toujours soumis à l’activité des groupes dirigeants, même quand ils se révoltent et se soulèvent: seule la victoire permanente rompt leur subordination, même si cela n’est pas immédiat.

Si on empêchait le rêve, quel stimulus pourrait pousser des hommes et de femmes à entreprendre et à s’engager dans une lutte pour une autre société? En même temps, on ne peut faire abstraction des faits. Le rêve s’échafaude à partir de l’étude des conditions matérielles de notre société.

Dans cette logique, nous ne pouvons que nous opposer aux intellectuels donneurs de leçons, rêvant à haute voix de grandes actions et d’une autre société, mais qui, détachés qu’ils sont du monde réel, ne participent bien souvent aux luttes que par la voie de la critique.

Le militant, la militante doivent chercher le pont entre le réel et le possible.

La lutte des peuples pour leur émancipation contre des régimes dictatoriaux, le combat des masses laborieuses pour des conditions de travail digne, la mobilisation des femmes contre le patriarcat et le sexisme, la lutte contre le racisme, un mal toujours présent, et celle des minorités opprimées qu’elles soient ethniques, religieuses ou sexuelles contre la discrimination… toutes ces luttes ne sont pas des rêves, mais bien une réalité tangible partout ou l’on se rend. Elles luttes se poursuivent malgré tous les obstacles dressés devant elles, guidées par leur refus de se soumettre à toute forme de domination et de servitude, mais également par le rêve d’une vie meilleure, dans une optique d’émancipation générale.

On ne peut faire la révolution sans la vision d’un grand rêve: en d’autres termes, il s’agit d’«avoir les pieds sur terre et les yeux vers les étoiles».

Joseph Daher

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